Au commencement était… Toussaint Louverture



A. J. Victor
avril 9, 2022

Le Jeudi Saint de l’année 1803, un vieux nègre, catholique convaincu, mourait, seul, dans les cachots d’une prison de France. Son crime ? Il avait conduit et formé ses frères noirs à la liberté.

Aujourd’hui, 7 avril 2022, ramène le 219ème anniversaire de la mort de Toussaint Louverture. La plupart de nos enfants ne savent même pas que c’est à lui que nous devons cette liberté que nous avons piétinée pendant nos deux siècles d’histoire.

Le premier moment :

Dans la nuit du 21 au 22 août 1791, des hordes d’esclaves, armés de piques, de machettes, de quelques rares armes à feu et de tout ce qui pouvait servir d’arme, criant que les boulets n’étaient que de la poussière, envahirent, pêle-mêle, la plaine du Nord, brûlant les plantations, tuant les maîtres, détruisant tout sur leur passage. En quelques jours, la plaine du Nord fut réduite en un tapis de ruines et de désolation. Les Blancs (ceux qui avaient pu échapper à la mort) s’étaient réfugiés au Cap laissant les esclaves maîtres de la plaine. Ce n’était nullement la première révolte d’esclaves de l’histoire. Et toutes furent écrasées ! Mais celle-là allait se terminer différemment…

Le deuxième moment

Douze ans plus tard, le 18 novembre 1803, une armée de nègres, organisée en régiments, brigades, demi-brigades, commandée par des généraux, colonels, capitaines, sous la direction suprême du Général de Division Jean-Jacques Dessalines attaquait le Cap après avoir, étape par étape, repris le reste du territoire des troupes françaises. Une armée parfaitement disciplinée, guidée par une stratégie parfaitement planifiée, constituée de soldats nègres bien armés qui ne reculaient point sous le feu de l’ennemi, affrontait et battait ce qui restait de la meilleure armée du monde à l’époque.

Le tournant

Il est évident qu’entre ces deux moments, quelque chose s’était passé. Qui avait enseigné à ces anciens esclaves le maniement des armes ? Qui les avait organisés en armée régulière ? Qui leur avait enseigné cette discipline ? (Ce ne pouvait être Dessalines : il n’avait pris le commandement qu’en septembre-octobre 1802.) Qui avait fait de Dessalines un Général de Division ? Qui avait transformé ce qui n’était finalement qu’une révolte, en révolution ?

A Vertières, les soldats indigènes n’avançaient pas parce qu’ils pensaient que les boulets, c’était de la poussière. Ils savaient que les boulets pouvaient tuer. Ils avançaient parce qu’ils avaient compris que la vie sans la liberté ne valait pas la peine. Que cette liberté était le plus grand de tous les biens et qu’elle valait leur vie[1]. Mais…qui le leur avait enseigné ?

Au commencement était… Toussaint Louverture

Tout avait commencé en fait au mois d’août 1793 (encore ce mois d’août !) avec la proclamation de Camp-Turel : « Je suis Toussaint Louverture. Mon nom s’est peut-être fait connaitre jusqu’à vous. J’ai entrepris la vengeance. Je veux que la liberté et l’égalité règnent à Saint-Domingue. Je travaille à les faire exister. Unissez-vous à nous, frères et combattez avec nous pour la même cause… »

Cette adresse n’était pas à proprement parler une proclamation. Plutôt une lettre destinée surtout aux hommes de couleur. Cependant, l’objectif fixé (et qui allait être réalisé), indépendamment de tout cela, était plus qu’évident. Tout partit de là. Tout ! Toute la beauté, toute la grandeur, toutes les promesses de la révolution haïtienne. Tout ! Laissons Roger Dorsinville conclure :

« Au cours de onze années d’entêtement et de rébellion, Toussaint avait mis au monde une œuvre plus grande que lui, dont la dynamique transcendait ses propres défaillances. Intraitable, multipliant les adresses, les proclamations, il avait répandu sur tout Saint-Domingue un esprit de liberté […] Si Toussaint demeure grand, c’est que l’exigence de liberté qu’il avait éveillée chez ses concitoyens survivait à sa défaite. Le sentiment populaire a raison d’assimiler Toussaint à l’indépendance, il ne la conçoit pas sans lui : Toussaint était déjà indépendant.

A l’heure décisive où le peuple derrière Dessalines, saisit les armes pour la bataille finale, et à l’aurore glorieuse de Janvier, ce n’est pas seulement la piété, mais aussi la justice, ce cœur puissant de la raison, qui, pour tous et d’instinct, place en tête du cortège et à l’ombre du drapeau : TOUSSAINT LOUVERTURE »[2]

A. J. Victor

7 avril 2022

  1. L’historien américain Philippe Girard titre un de ses ouvrages Les ESCLAVES qui vainquirent Napoléon (The Slaves who defeated Napoleon) avec le mot « slaves » en caractères beaucoup plus grands que le reste. Il n’a probablement pas réalisé (ni lui, ni son éditeur) qu’il aurait été plus humiliant pour Napoléon d’être vaincu par des esclaves que par des hommes libres. La révolte d’esclaves de 1791 réussit précisément parce que ces anciens esclaves furent transformés en hommes libres. Les troupes françaises ne furent pas vaincus par des esclaves, mais par des hommes libres. C’est moins humiliant pour… Napoléon !

  2. J’ai légèrement modifié Dorsinville. Il met à la fin « TOUSSAINT LE PRECURSEUR », utilisant un terme consacré. Cependant, tout ce qu’il dit avant contredit ce terme. On ne met jamais un précurseur « en tête du cortège » (personne ne penserait, par exemple, à mettre Jean le Baptiste en tête du cortège du peuple de Dieu). Il appelle Louverture « précurseur » après avoir clairement établi que c’était bien Toussaint la pierre angulaire, celui sans lequel il n’y aurait eu ni Dessalines, ni Haïti, ni Vertières, ni la gloire du 1er janvier 1804.



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